En 1997, Joseph Takahashi
et son équipe identifient chez la souris un gène
qui, lorsqu’il est muté, allonge la période
circadienne à 27 heures en condition de lumière
constante. Après quelques semaines dans ces conditions,
plusieurs souris mutantes perdent même toute forme
de périodicité dans leur comportement. Non
sans humour, Takahashi nommera ce gène Clock,
non pour « horloge », mais pour « circadian
locomotor output cycles kaput »…
Il s’agissait du premier gène impliqué
dans le cycle circadien d’un mammifère à
être identifié.
On sait depuis des décennies
que les noyaux
suprachiasmatiques, deux petits groupes de neurones
de l’hypothalamus, sont nécessaires pour l’expression
du rythme circadien chez les mammifères. Quand les
premiers gènes de l’horloge biologique furent
découverts chez les mammifères à
la fin des années 1990, on ne fut donc pas surpris de
constater que ces gènes étaient actifs dans les
neurones des noyaux suprachiasmatiques.
On s’aperçut cependant rapidement que ces gènes étaient également
actifs de manière rythmique dans
les cellules de plusieurs autres tissus de l’organisme,
persistant plus d’une semaine dans certaines de ces
cellules isolées et mises en culture in vitro.
Au total, on estime qu’entre 8 à 15 % des gènes
du corps humain sont actifs selon un cycle d’environ
24 heures.
Il était donc prévisible que quelque chose ait évolué dans
notre organisme pour coordonner ses grandes fonctions avec les
différents moments de la journée. La vigilance, la
température corporelle ou la sécrétion de
certaines hormones gagne en effet à être ajustée
selon qu'il fait jour ou qu'il fait nuit.
Les premiers indices d’une telle « horloge biologique » sont
venues des études de volontaires qui sont restés
plusieurs semaines coupés de tout indicateur du jour et
de la nuit (souvent en
campant dans des grottes). Or dans ces conditions, un rythme
d’environ 24 heures persiste tant dans les comportements
que dans les paramètres physiologiques de ces individus.
Des variations cycliques se maintiennent
même à l’intérieur
de cellules du corps humain isolées dans un milieu de culture
soumis à un éclairage constant. L’activité de
certains gènes et la sécrétion de certaines
substances continuent de fluctuer selon un rythme de plus ou moins
24 heures.
Notre horloge biologique réside donc
au cœur même de nos cellules et ses rouages ne sont
pas faits de ressorts et de roues dentelées, mais bien de
molécules. Lesquelles, et comment interagissent-elles pour
maintenir des cycles de 24 heures ? Difficile question qu’on
n’a commencé à répondre qu’au début
des années 1970 avec la découverte chez la mouche
drosophile du premier gènes impliqué dans l’horloge
biologique.
Le point de départ de cette boucle,
ce sont des gènes, donc
des bouts d’ADN qui fournissent les plans pour fabriquer
des protéines. Ces plans sont transmis du gène au
cytoplasme, lieu de production des protéines, par une molécule
appelée ARN messager (ou ARNm). Mais alors que la
plupart des protéines demeurent habituellement dans le cytoplasme
où elles remplissent différentes fonctions (on les
appellent parfois « les briques du vivant »),
celles qui sont impliquées dans notre horloge biologique
retournent dans le noyau où se trouvent l’ADN et se
fixent sur le gène qui les a produites. Ce faisant, elles
arrêtent l’activité de leur propre gène.
Moins de protéines sont alors fabriquées, si bien
qu’à un moment donné, il n’y a plus assez
de protéines qui retournent dans le noyau pour empêcher
leur production et celle-ci reprend. Environ 24 heures se sont alors
écoulées. Les protéines commencent ensuite
à s’accumuler à nouveau, initiant du même
coup un nouveau cycle.